• KIRIKOU OU LA QUETE DE GRANDEUR DE L'AFRIQUE

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    KIRIKOU OU LA QUETE DE GRANDEUR DE L'AFRIQUE

    KIRIKOU OU LA QUETE DE GRANDEUR DE L'AFRIQUE

    Lorsque je visionnai pour la première fois cette bande dessinée, je fus comme tout le monde impressionné par les aventures de ce petit bonhomme curieux dont les actes héroïques, ne laissaient personne indifférent. Pourtant au fond de moi, un vague sentiment (peut être l’instinct du journaliste) me poussait à croire que ce film n’avait rien de banal, disons d’ordinaire ; qu’au délai de ce public d’enfants entièrement acquis à la cause de leur héros, il y avait un message qui s’adressait à une cible plus avisée, pour peu qu’on soit capable de lire au-delà des mots et des images. Un petit clic sur Internet me met sur la voie. Je découvre alors que le réalisateur, Michel Ocelot a passé son enfance en Guinée. Une période d’immersion au cœur du vécu quotidien africain qui lui a certainement permis d’accumuler une somme d’expérience ayant servi de base documentaire à l’écriture de son scénario. Rien de plus normal me dira t-on ! Il faut connaitre les africains pour parler des africains. Certes, mais cette découverte m’a poussé à regarder autrement ce film, avec un œil plus pointu jusqu’à ce que l’écran de fumée se dissipe. En réalité, au-delà du but immédiat qu’on pourrait lui prêter, KIRIKOU est une véritable chronique dont les relents sociologiques, politiques et économiques, sont inestimables. L’auteur lui-même avait-il conscience des enjeux qui se profilaient derrière sa production ? Pas si sûr. Ne dit-on pas que  l’œuvre échappe souvent à son auteur pour embrasser des horizons plus universels ? Quoiqu’il en soit, je vous propose cette réécriture personnelle qui je l’espère, vous rendra encore plus fan du légendaire garçon nu.

     


    L’enjeu du film, c’est l’Afrique et les différentes scènes et protagonistes qui défilent au fil des épisodes symbolisent différentes facettes de ce continent qui bascule entre ombres et lumière. L’ombre, c’est le vieillard grognon, ce prophète de malheur qui passe le clair de son temps à prédire l’échec et qui est le visage de ce afro pessimisme, cette Afrique qui doute, qui ne croit pas en elle et qui considère tout projet de grandeur comme une aventure sans lendemain. A plusieurs reprises, il tente de décourager Kirikou. Combien sont-ils ces africains vieux ou jeunes, résignés, qui ont cessé depuis longtemps de croire en un sursaut de leur continent ? Combien sont-ils qui sourient lorsque tous les chiffres annoncent un avenir radieux pour l’Afrique? L’ombre c’est aussi ces bêtes sauvages (le qualificatif est ré
    vélateur) qui réduisent à néant les efforts des villageois en détruisant leurs cultures. C’est le monstre caché dans la grotte et qui suce toute l’eau du village. Bref, il s’agit de tous ces prédateurs voraces qui de toutes parts s’abattent sur l’Afrique ; cette nébuleuse d’intérêts obscurs, de lobbys impérialistes, de holdings qui se nourrit aux dépens de l’Afrique, maintenant depuis des lustres, des populations entières dans la misère et le dénuement. Mais l’ombre, c’est enfin et surtout la terrible sorcière Karaba dont la seule évocation du nom fait frissonner et qui de son palais règne en tyran et en maitre absolu. De là à faire le lien avec les petits dictateurs et autres roitelets, qui pullulent sur le continent, il n’y a qu’un pas. Mais pour bien comprendre le symbolisme qui est associé à ce personnage, une phrase est essentielle, prononcée par la mère de Kirikou : ‘’ le sage dans la montagne explique les choses comme elles sont alors que la sorcière a besoin qu’on croit n’importe quoi.’’  En clair, Karaba tire sa force des mythes et des rumeurs pour la plupart fausses et entretenues à son sujet par les villageois eux-mêmes. Et tant que ce voile d’ignorance est maintenu, sa domination sur le village est assurée. La sorcière, il faut le savoir, n’est pas étrangère au pays. Bien au contraire, son histoire est intimement liée à celle du village. D’ailleurs, son armée de fétiches qui terrorisent tant les habitants, est composée en réalité des hommes du village qu’elle a transformé.En un mot, la sorcière, ce sont ces forces autodestructrices que l’Afrique génère elle-même, ces limites souvent imaginaires qu’elle s’impose par ses superstitions et ses croyances rétrogrades. Ce sont ces idées fausses, ces stéréotypes devalorisants savamment distillés pendant des siècles dans la conscience populaire africaine et qui ont paralysé sa capacité de réflexion et d’action. C’est ce complexe d’infériorité né d’une mémoire marquée par des siècles d’esclavage, de colonisation et de néocolonialisme et de sous-développement. La sorcière, ce sont ces horizons que l’Afrique refuse d’explorer, se contentant comme les habitants  du village, de survivre dans les limites de l’espace vital qui lui est imposé par ses adversaires. N’est-il pas vrai qu’à force de l’entendre plusieurs --- y compris certains dirigeants--- ont fini par accepter que l’industrie de pointe, l’innovation technologique étaient l’apanage de l’occident et que l’Afrique devait se contenter de faire ce qu’elle sait faire le mieux c'est-à-dire être une terre agricole, pourvoyeuse de matières premières et de guerres Fort heureusement, le tableau n’est pas que sombre. L’équilibre des forces nécessaire pour maintenir l’espoir est assuré dans le film. La lumière est véhiculée dans un premier temps par la mère de Kirikou. Du début jusqu’à la fin de sa quête, elle s’est toujours présentée comme sa première source de motivation et d’encouragement. Au delà des apparences et des préjugés, elle a toujours crû au destin hors du commun de son fils. C’est dans cette communion, cette intimité parfaite avec sa mère que le héros se renouvelle et trouve la force d’affronter le monde qui l’entoure. Même lorsqu’il change d’aspect après son union avec la sorcière et qu’il est rejeté  par les autres habitants, c’est encore elle qui le reconnait. La mère, ce sont les racines, le cordon ombilical qui nous lie à cette terre ; c’est l’essence même de l’être africain qui doit assumer sa culture, s’il veut avoir une chance de résister au choc des civilisations. La mère, c’est la tradition en ce qu’elle comporte d’énergie positive et d’éléments stimulateurs. L’occident s’est bâti sur des valeurs comme la liberté qui a donné naissance au capitalisme, à la démocratie mais aussi au mariage pour tous. Il appartient à l’Afrique de se construire non pas sur un calque importé, mais sur un modèle de société qui fait appel à ses spécificités.La lumière, c’est aussi la montagne bleue où réside le sage, au-delà du territoire de Karaba. C’est là que Kirikou va chercher les dernières réponses qui lui manquent avant d’affronter la sorcière. L’atmosphère sereine de ce lieu tranche avec celle du village où règne l’ignorance, la superstition. C’est l’entretien avec le sage qui lui livre les clés pour comprendre le véritable secret de son adversaire, assurant ainsi sa victoire. La voix du sage, c’est la voie de l’éducation, de la raison, de la connaissance qui permettra à l’Afrique de comprendre et de vaincre ses faiblesses.

     

    Mais la lumière, c’est surtout Kirikou. Le contraste entre le gamin et les autres habitants du village est saisissant. Kirikou est apparemment le seul qui prend conscience des limites et des défis qui entourent son village. Son esprit est constamment en éveil, il est curieux, pose des questions, cherche à comprendre.il refuse de vivre dans la résignation et d’accepter la fatalité. En clair, c’est cet esprit d’initiative, cette constante remise en cause, cette audace qui ne renonce jamais qui éclairera l’Afrique et la poussera à l’action. Si ce continent à accusé un retard si scandaleux, c’est parce qu’on a forcé son esprit à entrer en hibernation et à tourner le dos aux grands rendez-vous de l’histoire. Malgré son handicap de départ (sa petite taille), Kirikou réussit son pari parce ce qu’il parvient à tirer profit de ses qualités qui sont la ruse, le courage et la vaillance. Quand on n’a pas le savoir technologique, quand on manque de capitaux, minée par les guerres, la faim et toutes sortes de fléaux, on peut malgré tout rêver à un lendemain plus radieux en ayant foi en ses potentialités tant humaines que naturelles. L’Afrique réussira parce qu’elle dispose de ce dont le monde a besoin. Parce qu’elle demeure encore un vaste marché pour l’industrie occidentale, une réserve de ressources  pétrolières, gazières et minières mais surtout, une oasis dans un monde décadent où la vertu et la morale sont devenues presqu’invisibles. L’Afrique est peut- être mal partie, mais elle peut bien arriver et c’est cela l’essentiel !

     

    Dans la séquence qui l’oppose au monstre « succeur d’eau », Kirikou énonce des principes essentiels qui  à mon sens devraient guider les africains. Dans un premier temps, il décide d’engager tout seul le combat. Mais une fois à l’intérieur de la grotte et devant la taille de l’adversaire, il se ravise et pense à chercher de l’aide auprès de son oncle. Mais encore un fois, cette option également doit être abandonnée. En fait personne d’autre que lui ne peut tuer le monstre puisqu’en raison de sa petite taille, il est le seul à pouvoir entrer dans la grotte. Cependant, que faire tout seul sans aucune arme ?alors une illumination de sagesse l’éclaire et il comprend ce qu’il faut faire : « de l’intérieur, ce n’est pas possible. Peut être que dehors,  je trouverai comment faire. »

    Il ressort aussitôt et emprunte à une femme un couteau dont il se servira pour transpercer le monstre. Afrique, comme Kirikou, tu dois comprendre qu’il y a  des défis que tu devras relever seule. Mais c’est dans le dialogue avec les autres civilisations, dans l’inévitable rendez vous du donner et du recevoir que tu trouveras les armes pour ton sursaut et les repères pour ta révolution ! Contrairement à certains idéologues mal renseignés, je crois profondément que ce continent ne gagnera rien à se rétracter dans une bulle imaginaire au nom d’une souveraineté et d’une dignité aux contours mal définis. Car on peut s’ouvrir aux autres et rester soi-même ; recevoir sans s’aliéner. C’est ce que nous enseigne le bond extraordinaire de ces nations dites émergentes et qui forcent aujourd’hui l’admiration. Le Japon, le Brésil, la chine et autres ont réussi grâce à ce transfert de savoir et de compétences qui leur a permis de s’approprier le meilleur des autres.

     

     « Evaluer le défi, identifier les armes et se lancer à l’action » voici la trilogie du succès que nous recommande le petit bonhomme gris. Le dénouement même du film nous interpelle à plus d’un titre. Habituellement dans ce genre d’histoire, on tue la sorcière. Mais Kirikou, lui, ne va pas la tuer.il va la comprendre et il va l’aimer au point de s’unir avec elle. Lorsqu’à la fin il lui donne le baiser libérateur, le sort et la malédiction sont enfin brisés et il change d’aspect en même temps qu’elle. Il devient ce qu’il a toujours rêvé d’être c’est-à dire grand et Karaba, la belle femme radieuse qu’elle était au départ, libérant de nouveau la fertilité dans tout le pays. Le symbolisme est profond : il n’y aura de salut pour l’Afrique que lorsque l’africain parviendra à assumer les fantômes de son passé et à affronter ses peurs et ses craintes. La lumière ne jaillira que dans l’immersion au cœur des ténèbres, lorsque dans tous les domaines de pensée et d’action, surgiront des Kirikou, capables d’unir le village et le territoire de Karaba. Moralité de l’histoire : comprendre ses faiblesses nous rend plus forts. L’Afrique est un grand qui s’ignore, prisonnière de chaines et de malédictions qu’elle s’est imposées elle-même et dont elle ne pourra se libérer que par l’éducation, l’audace et l’ingéniosité.

     

    ‘’ Grand père, je veux être grand’’ s’écrit Kirikou au moment où son esprit est éclairé par les conseils et les révélations du sage. Kirikou, c’est le cri de cœur de l’Afrique qui aspire à la grandeur et à la reconnaissance des autres. Et  ce cri qui devient chant chaque fois que notre héros remporte une victoire sur les forces du mal, nous voulons l’entonner en chœur, comme signe de l’espoir que nous plaçons en l’avenir de cette terre.

    ‘’ Kirikou est petit mais il peut beaucoup 

     Kirikou n’est pas grand, mais c’est un géant’’

     

    Dieu bénisse l’Afrique !

     

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