• LES FUNÉRAILLES GRANDIOSES: TRAIT CULTUREL OU PLAIE SOCIALE?

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     Les funérailles grandioses : trait culturel ou plaie sociale ?


     
    Vendredi 10h. Nous sommes aux abords d’IVOSEP, le service public de pompes funèbres d’Abidjan. Une foule compacte se presse à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment. Partout des cris et des larmes. Quelques instants plus tard, la cérémonie prend fin et un impressionnnt 
    acortège s’ébranle en direction du village du défunt. Renseignement pris, il s’agirait d’un haut cadre de l’administration. Pour quiconque connait IVOSEP, une telle agitation n’est guère surprenante.  Pourtant, tout le monde sait que le ‘’ meilleur reste à venir’’. Après la levée de corps, place aux obsèques qui seront certainement grandioses vu la qualité de la dépouille.

     

    Grandioses ! Le mot est lâché. Et il n’est point besoin d’être un sociologue averti pour s’apercevoir que l’organisation des obsèques est en train de se modifier profondément dans notre société. On est bien loin du temps où les funérailles étaient encore un moment de recueillement. De plus en plus, on va aux funérailles comme à une fête, un show d’exhibition ou alcool, frime et sexe font bon ménagé. Mais il faut remonter dans le temps pour retrouver les origines de ce phénomène qui n’est pas un fait nouveau. Déjà dans l »Egypte antique, il existe des traces de cette pratique. L’impressionnante série d’objets précieux trouvés dans les tombeaux de pharaons tels Toutankhamon ou Ramsès II le prouve bien. Le pharaon était considérai comme un Dieu en chair. Il était donc de la plus haute importance que son passage dans l’autre monde se fasse de façon solennelle et majestueuse. Chez les Incas par exemple, les funérailles du Roi ou d’un haut personnage duraient des semaines et mobilisaient tout le royaume. On procédait même à des exécutions d’esclaves qui devaient accompagner le dignitaire. Les siècles sont passés mais le principe n’a pas changé. Aujourd’hui, encore, la forme des funérailles est liée à la position sociale soit du défunt, soit de sa famille. En clair, plus le défunt ou sa famille est socialement élevé, plus la pression d’organiser des funérailles grandioses devient plus forte voire impérative. Il faut marquer les esprits ; c’est une question d’honneur et l’honneur, on ne badine pas avec sous les tropiques, dans notre sociétés où le « ma-as-tu-vu » est omniprésent. Qu’importe, mais là où la chose devient inquiétante, c’est lorsque les funérailles deviennent le prétexte pour faire étalage de sa richesse et de sa puissance financière. Par moments, c’est à une véritable bataille de dons et de billets de banque que l’on assiste au point que l’attention n’est plus tournée vers la dépouillé mais sur le spectacle et le folklore qui se développe autour d’elle. Certains cadres et personnalités de ce pays ont bâti leur réputation sur la « prodada » à laquelle ils s’adonnent pendant les funérailles. On assiste même à des compétitions « inter-familles » ou « inter-villages » pour voir qui organisera les funérailles les plus incroyables. De plus en plus, l’on mesure la réussite des obsèques à la quantité d’argent ou de personnes mobilisées, au flot d’alcool ingurgité ou même à la beauté du cercueil ou du corbillard. Que faut-il donc penser de ce phénomène ? Faut-il l’accepter comme un pan de notre culture ou faut-il le dénoncer au contraire comme une plaie qui mine notre société ?

    Examinons d’abord la question du point de vue du bon sens. Il parait en effet déraisonnable de gaspiller autant d’énergie alors que le concerné n’est pas présent pour en bénéficier. Pourquoi un tel élan de générosité posthume alors que paradoxalement, le défunt est souvent ignoré de son vivant ou pendant qu’il est malade ? Coté financier, les funérailles grandioses sont un véritable gouffre dans lequel plusieurs s’enfoncent malgré eux. Combien à défaut de s’endetter, n’ont pas cassé leur tirelire pour se plier à cette pratique afin de sauver l’honneur de la famille ? On reproche même à certaines communautés notamment aux musulmans de banaliser leurs morts en raison de la simplicité qu’ils affichent en matière d’obsèques.

    Pourtant, du coté des chrétiens, la consigne n’est pas différente. Ce que la bible prescrit en de tels cas, c’est d’être sobre et d’éviter toute forme d’excès. Pour le Pasteur Guié Jean Luc de la ’’ mission Bethleem’ ’, le rôle du chrétien n’est pas d’accompagner de façon grandiose  le défunt dans sa dernière demeure mais plutôt de lui montrer le chemin de Dieu pendant qu’il est  encore vivant pour éviter que cette dernière demeure ne soit l’enfer mais le paradis Malgré donc ses ravages financiers évidents et le fait que la religion s’y oppose, pourquoi cette pratique continue telle de survivre au sein de la société ? Parce qu’en Afrique, la tradition et les habitudes ont la peau dure au point de se fossiliser dans le subconscient sociologique des peuples comme un bouclier, une attitude réactive face à la guerre sans merci  imposée par le modernisme et la globalisation. Car pour beaucoup encore, de telles pratiques constituent des oasis culturels, des spécificités africaines qu’il faut absolument préserver pour éviter que l’âme nègre ne sombre dans le déclin et l’assimilation. Ici, les morts ne sont pas morts et ils ne sont jamais bien loin. Les enterrer donc simplement c’est un peu comme les abandonner.

     

    Pourtant, s’accrocher à des pratiques dont la nocivité tant individuelle que collective a été prouvée, est-ce vraiment la porte de salut ? Ouvrir les yeux sur nos valeurs, interroger notre culture et en extraire les sarments rétrogrades, cela n’est-il pas une alternative plus réaliste ? Car vous l’aurez compris, en toile de fond du débat culturel, se profile implacablement celui du développement. Le développement, c’est avant tout une question de mentalité.

     

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  • Commentaires

    1
    Mardi 17 Décembre 2013 à 21:16
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